Certains albums ne se contentent pas d’être écoutés, ils s’imposent comme une épreuve sensorielle, une plongée dans l’obscurité. Emovere, dernier EP d’Obscure Sphinx, en est un parfait exemple. Avec seulement trois morceaux – Scarcity Hunter, As I Stood Upon the Shore et Nethergrove, étalés sur 29 minutes, le groupe distille une oppression hypnotique qui broie lentement l’auditeur.
Difficile de parler d’Obscure Sphinx sans replonger dans ma propre découverte du groupe en 2016 avec Epitaphs. Un album qui m’avait pris à la gorge, à la fois massif et hanté, et qui m’a ouvert la porte vers leur chef-d’œuvre précédent, Void Mother (2013). Ces disques m’ont accompagné un long moment et je prends toujours plaisir à m'y replonger. Et puis, quel cadeau le jour où j’ai enfin pu les voir live en 2018 au Transbordeur, en compagnie d'Amenra et Celeste. Une messe funèbre et chaotique qui reste marquée dans ma mémoire.
Car oui, Obscure Sphinx, c’est cette capacité à happer, à enfermer l’auditeur dans un cocon de souffrance cathartique. Originaires de Pologne, ils sculptent depuis plus de 15 ans une musique qui dépasse les carcans du sludge et du post-metal pour toucher à quelque chose de viscéral, presque sorcier. Un équilibre instable entre lourdeur suffocante et envolées spirituelles, mené par l’incantation envoûtante de Zofia "Wielebna" Fraś, dont la voix oscille entre murmures fantomatiques et hurlements possédés.
Le choix du titre, Emovere, n’est pas anodin. Tiré du latin, il encapsule cette dualité entre le mouvement et l’émotion pure. Dès les premières notes de Scarcity Hunter, une tension sourde s’installe. Les guitares dissonantes tissent une toile poisseuse, tandis que la batterie, martiale et pesante, semble avoir pour mission de faire vibrer les murs. Les vocales hurlent avec un maximum d'agressivité. C'est profond et sans issue.
Avec As I Stood Upon the Shore, morceau le plus court de l’album, la claustrophobie laisse place à une errance spectrale. Le morceau oscille entre accalmies malsaines et explosions incontrôlables. Les passages atmosphériques, presque éthérés, ne sont que de fausses respirations avant que les guitares ne referment leur étau. Zofia maîtrise son chant à la perfection avec une alternance de passages aériens, presque spirituels, et de hurlements saturés bien crades. Impossible de ne pas ressentir cette sensation de malaise que les Polonais savent si bien distiller.
L’EP s’achève avec Nethergrove, le titre le plus abyssal du lot. Ici, plus d’échappatoire, les riffs s’effondrent en un monolithe sonore, écrasant et implacable. On touche à l’essence même du désespoir, un doom étiré à l’extrême, noyé dans une production abrasive. C’est le genre de morceau qui te laisse pâle, incapable de revenir immédiatement à la réalité.
Avec Emovere, Obscure Sphinx propose une expérience sombre et totale. Un gouffre sonore qui suinte la détresse et la fatalité. La production de cet EP est massive avec un duo drums/basse qui descend très bas. Une descente sans retour, pour ceux qui osent s’y aventurer.
![[Chronique] Obscure Sphinx - Emovere [EP] 2 Djamel Profil](https://www.noise-injection.com/wp-content/uploads/2024/02/Retoucheprofile-pic-enhance-faceai-sharpen.jpg)
Originaire des Pyrénées, je traine mes pattes dans la scène Rock depuis plus de 20 ans. Je couvre les concerts avec mon vieux réflex d’une main et mon stylo de l’autre, toujours prêt à partager mon opinion. Que ce soit sur scène ou en festival, je balance mes chroniques et live reports capturant l’essence de ma propre expérience.